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Le Caban

Nous poursuivons notre voyage dans le temps. Aujourd’hui, sans qu’il soit besoin d’inviter Stéphane Bern et Loránt Deutsch, nous allons remonter bien plus loin que le Trench, le Jean, et le Blazer, pour vous conter en quelques mots le Caban. 

Au XVe. siècle, les découvreurs européens d’horizons nouveaux, firent bien des rencontres, rarement empreintes de sympathie mutuelle, avec des gens croisés en route, ou plutôt en mer. Ces derniers étaient appelés les barbaresques, ou pirates bien des siècles plus tard, c’est dire si les confrontations n’étaient pas des thés dansants. Pourtant, c’est bien connu, toute friction peut engendrer rapprochements imprévus et créativité. Ainsi, nos navigateurs trouvèrent très pratique l’espèce de cape que leurs farouches opposants portaient pour les protéger des violences du climat. En Afrique du Nord, ce vêtement était appelé «Qaba ». Les Européens l’adoptèrent puis l’adaptèrent jusqu’à ce qu’il devienne «caban ».

Encore une fois, comme pour le Trench , le Jean ou le Blazer, les Britanniques furent à la manœuvre.

Fin XVIII ème, la Royal Navy normalisa le caban et en fit un quasi uniforme tout temps, obéissant à une nomenclature précise et fonctionnelle : veste épaisse, mi-longue, col très large, grandes poches plaquées avec rabat, 10 boutons ornés d’ancres de marine, en 2 rangées de 5 permettant de croiser, pour une meilleure protection, les bords de la veste, qui se boutonnent alternativement à gauche ou à droite, selon que le vent du large viendrait de bâbord ou bien de tribord. À tous ces détails on remarquera que le Caban, contrairement à son contemporain le Blazer, confectionné pour l’apparat - voir l’épisode précédent - fut conçu pour les tâches ingrates des gens de mer. Dans cette veine, des marins astucieux complétèrent le dispositif en imperméabilisant l’objet, au moyen d’un mélange de goudron, suif et d’huile de térébenthine… on sent d’ici l’odeur, façon imparable de laisser une trace. 

Des siècles plus tard, un Saint-Laurent ou un Jean-Paul Gaultier, ne retinrent heureusement pas cette façon d’imprimer leur trace, leur génie créatif suffisait, mais ils adoptèrent tous les codes originels du caban quand ils l’adaptèrent à leur tour.

« Il n’y a pas de mode, si elle ne descend pas dans la rue » proclamait Coco Chanel. 

Elle avait tellement raison. On ne trahira pas sa pensée en disant qu’elle aurait pu proclamer que la rue engendre aussi la mode. Le caban obéit spécialement à cette loi empirique.


Tout d’abord, un usage de la Royal Navy comme de la Marine française voulait que tout marin en retraite pût conserver son caban, à condition d’en enlever tous insignes, y compris les boutons gravés d’une ancre de marine. Ainsi rendue à la vie civile, cette veste à toute épreuve commença à investir en masse friperies et surplus. Au tournant des années 60, époque où la cocotte minute du changement se mit à siffler en sourdine, puis très bruyamment, sur les campus, notre caban devint l’accessoire de l’étudiant fauché. Sorti du campus, le mix caban-pantalon de velours côtelé - Clarks marrons, envahit les cafés où l’on refaisait le monde, y compris du côté de Saint-Germain des Prés. 

Jean Cocteau, Jacques Prévert, Boris Vian le portaient sans ostentation, juste comme un vêtement pratique. Même Lou Reed, plus connu comme dandy toxique « [to] walk on the wild side » que comme loup de mer, le portait de façon devenue quasi iconique. 

Jacques Brel, authentique navigateur le revêtait contre les mauvais vents qui l’attendaient à destination. 

«Dans le port d’Amsterdam, y’a des marins qui boivent… », nul doute qu’ils portaient aussi un caban.

Dans ce foisonnement, la suite était prévisible, dans le sillage des Saint-Laurent et Gaultier, les stylistes et les grandes maisons, de Versace à Hermès, en passant par Balenciaga et Vuitton , y allèrent de leur ré-interprétation en adaptant le caban au vestiaire féminin, loin des codes originels… et des prix du catalogue de La Redoute et des surplus populaires. C’est la loi du marché, dit-on.

Cette loi n’est pas vraiment la nôtre. Nous voulons mettre la mode, le savoir-faire, l’artisanat, le beau au service d’un engagement qui fait sens, vous le savez. Notre tour est venu de rendre hommage à ce vêtement fait pour le grand large.

Nous le nommerons «Ernest », comme une évidence. 

Comment imaginer Hemingway autrement que vêtu de son caban. Ah ! « Le Vieil Homme et la Mer », qui symbolise avec émotion la lutte éperdue du vieux pêcheur contre les éléments… mais Ernest Hemingway c’est aussi « Paris est une Fête ». Tenons bon, la fête va bien reprendre le dessus sur le virus sournois, question de résilience et de solidarité. Vous voyez ou nous voulons en venir ..?

C.H