Delphine
Pour les Cartésiens, vous le savez bien, les hypersensibles avancent dans la vie de façon désespérément irrationnelle, et pourtant elles et ils avancent, sur un chemin buissonnier qu’elles et eux seuls connaissent, plein de sons, d’odeurs, de sensations, des bribes de chansons et des fragments de phrases qui annoncent le jour qui vient avec promesse de belles rencontres. Ricochets et résonances entre toutes les sensations qui s’offrent, sont les compagnons de route de nos vies.
« Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du temps artiste…. »
J’avais en tête cette phrase de René Char extraite de sa préface de La Postérité du Soleil – sublime titre ! - de Camus, lorsque j’ai rencontré Delphine [Cauly].
Oui, Delphine est artiste jusqu’au bout des ongles. Delphine dessine, depuis toujours. Petite elle dessinait des princesses, évidemment, jour après jour, avec la même délectation. Elle a su très tôt, comme une évidence, que sa raison d’être serait liée au dessin. Scolarité studieuse, des parents professeurs … Qui a prétendu qu’on ne peut devenir artiste que dans la révolte et les convulsions ? Clichés ! Delphine est née artiste, elle ne fait que vivre sa vie avec douceur et bienveillance, simplement libre et obstinée, sous la houlette de sa maman bien aimée, véritable Mama corse qui avait la beauté stupéfiante des Îles Sanguinaires et d’Ajaccio en partage avec ses bébés. Nos parents n’envisagent jamais qu’on soit saltimbanque … ou entrepreneur. Ce sort n’est pourtant pas sans noblesse, en revanche le confort matériel et la sécurité de l’emploi ne sont pas, au commencement, le lot des artistes … ou des entrepreneurs.
À sa sortie de l’Ecole des Beaux Arts, Delphine est seulement riche des rencontres qu’elle a pu y faire. Des immenses artistes plasticiens touche-à-tout, tel que Boltanski, son professeur, l’ont inspirée et auraient pu la tenter d’entrer dans leur univers protéiforme au carrefour de la figuration libre et de l’art conceptuel. Non, décidément, aux Beaux Arts, Delphine ne se sentait elle-même qu’en dessinant, inlassablement.
Par les hasards de la vie, autrement dit, grâce à son petit ami de l’époque, Delphine a la chance de répondre à sa première commande : elle illustre de jolis contes pour « L’Ecole des Loisirs », éditeur pour la jeunesse. Puis, les grands magasines de mode, tout puissants au tournant des années 2000, font de l’œil à Delphine … qui se rend vite compte que le diktat des directeurs artistiques et leurs photographes stars laissent peu de place aux dessinateurs qui n’aiment que les marges à remplir d’un trait fin.
Alors Delphine va un peu errer, sans jamais se perdre.
Un temps vendeuse dans un magasin - il faut bien se nourrir et payer son loyer ! - la frustration et la rumination auraient pu la faire vaciller. Mais elle ne vacille pas, au contraire, elle quitte son magasin au bout de 3 ans, pour jouer son va-tout, sans parachute. Il faut dire que vers 2005, un phénomène inouï – Internet et les réseaux sociaux - avait commencé à envahir notre quotidien. Formidable appel d’air pour les dessins de Delphine, qui trouvèrent spontanément leur public.
Les princesses que, petite, elle dessinait, sont devenues femmes. Elle les dessine d’un trait sobre et précis , à la mine de plomb, rehaussé d’encre de Chine et quelques aplats d’aquarelle. Véritable manifeste à la féminité, ni glamour ni bimbo, mais pleine de délicatesse et sans fard, c’est tout et c’est bien nous, non ?
Arriva alors ce qui devait arriver, une rencontre solaire. À l’approche de 2014, Aurélie et Sylvie, chanteuses du duo Brigitte, tombent sous le charme du dessin de Delphine et de son univers. Une collaboration fertile commence. La pochette de l’album « À bouche que veux-tu », dessinée par Delphine, entre en symbiose avec des paroles et des rythmes qui nous transportent sur la scène d’un casino de la Riviera avant le déchaînement du disco. Regardez le clip, ne vous y trompez pas, les deux filles en lamé ne sont pas les nunuches de service que des garçons en décapotable sport sifflent sur la Croisette. Elles sont en contrôle de leurs émotions et conscientes de leur pouvoir de séduction, sans déborder, jamais, mais peut-être légèrement nostalgiques d’un temps où la vie était insouciante - « 🎼…la vie et les chansons d’amour en sucre me font toujours autant d’effet… palalalala pa pa lalalala… » - sur fond de palmier, de papyrus et de flamands roses empaillés. Voilà, encapsulé dans ce clip, tout l’univers de Delphine.
Elle lui a donné un nom, signature singulière, qui lui tient lieu de mythologie personnelle : l’été 1981 .
C’est naturellement l’année de sa naissance, ainsi que celle de Beyoncé, Alicia Keys, Natalie Portman ou Louise Bourgoin. Les astres eurent de belles inspirations, cette année-là. Dans la foulée, la peine de mort fut abolie, jetée dans les ténèbres de notre histoire, après un bel été. D’après nos parents et les témoins de ce temps béni, vaguement mélancoliques, les esprits étaient à la fête, pas à la distraction, nuance ! Le Studio 54 à New York dans le sillage d’Andy Warhol et Bianca Jaeger, Le Palace à Paris, incarnaient cet espèce d’hédonisme cosmopolite insouciant. Sur les plages de Pampelonne, mères et filles, seins nus, jouaient et rejouaient « L’année des méduses » en sirotant un Campari soda … le mélanome n’était pas un sujet d’attention, les bouleversements qui s’annonçaient, non plus. Le Sida allait bientôt gâcher la fête, Tchernobyl le suivra, un temps compensé par la chute du Mur de Berlin … nous connaissons la suite de l’histoire, avec ses folles espérances et ses épreuves comme ce Corona virus qui s’obstine. C’est la vie ! Mais dans cette vie, il ne faut jamais passer à côté des parenthèses enchantées qui vont et reviennent, comme un Été 1981.
J’ai demandé à Delphine de dessiner nos prochains mantras et les boîtes qui servent d’écrin à vos commandes. Je suis émue que Delphine ait accepté. Bien sûr il est question de commerce, mais sans l’alchimie humaine, cela n’aurait aucun sens. Alors lorsque vous ouvrirez la jolie boîte qui contiendra votre commande, vous aurez l’impression de sentir les effluves d’un Été 1981. La queue de traine des années hippies à Formentera (ce n’est pas pour rien qu’un de nos chemisiers se nomme Mimsy, comme Mimsy Farmer, la sirène de « More ») apporterait ses notes de Monoï et de Patchouli, le clapotis des eaux turquoises et la bossa nova de Chico Buarque (la pub Schweppes évidemment) viendraient chanter :
« 🎼 Essa moça ta diferante »… Oui, cette fille est différente et ce ne serait pas qu’une impression.
C.H